La création de l’Alliance des États du Sahel (AES) en septembre 2023 par le Burkina Faso, le Mali et le Niger, suivie de leur retrait officiel de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en janvier 2025, marque un tournant géopolitique majeur en Afrique de l’Ouest. Cette reconfiguration régionale, motivée par des tensions politiques et des divergences sur la gestion des crises sécuritaires, a des implications profondes sur l’efficacité de la lutte contre le terrorisme dans la région.

L’AES a vu le jour dans un climat de méfiance vis-à-vis de la CEDEAO, accusée par les juntes militaires au pouvoir dans les trois pays de ne pas avoir soutenu efficacement leurs efforts contre le terrorisme et d’être sous influence occidentale, notamment française. Les coups d’État successifs au Mali (2020, 2021), au Burkina Faso (2022) et au Niger (2023) ont exacerbé les tensions, la CEDEAO imposant des sanctions économiques jugées “inhumaines” par les régimes sahéliens. En réponse, l’AES s’est constituée comme un pacte de défense mutuelle, avec l’ambition de coordonner les efforts militaires et économiques pour contrer les menaces terroristes, notamment dans la région du Liptako-Gourma, épicentre des activités djihadistes.
Cette rupture a conduit à une fragmentation de l’intégration régionale, remettant en question les mécanismes de coopération sécuritaire et économique établis par la CEDEAO. Alors que l’AES cherche à établir une confédération avec une force militaire conjointe et une monnaie commune éventuelle, les conséquences sur la lutte contre le terrorisme sont à la fois prometteuses et problématiques.
Impacts positifs de la posture de l’AES sur la lutte contre le terrorisme
L’AES a mis en place une architecture de défense collective, incluant des manœuvres militaires conjointes impliquant les armées du Mali, du Burkina Faso, du Niger, ainsi que des partenaires comme le Togo et le Tchad. Cette mutualisation des efforts a permis de réduire la mobilité des groupes djihadistes, notamment l’État islamique dans la région du Liptako-Gourma, en facilitant la poursuite des terroristes au-delà des frontières. La création d’une “force unifiée” annoncée en janvier 2025, dotée de capacités aériennes et de renseignement propres, vise à renforcer cette dynamique.
L’AES met l’accent sur la souveraineté africaine, rejetant l’ingérence perçue des puissances occidentales, notamment la France, dont l’opération Barkhane est jugée inefficace par les juntes. Cette posture a permis de mobiliser un soutien populaire, notamment parmi la jeunesse, renforçant la légitimité des régimes militaires dans leur lutte contre le terrorisme. En outre, le recours à des partenaires comme la Russie, avec la présence de mercenaires du groupe Wagner, a offert un appui tactique dans certaines opérations, comme la reprise de zones au nord du Mali.
L’alliance a cherché à établir des passerelles avec des pays voisins, comme le Tchad, qui dispose d’une armée expérimentée et d’une expertise reconnue dans la lutte contre le terrorisme. Le Togo, bien que membre de la CEDEAO, participe à des exercices militaires conjoints avec l’AES, ce qui pourrait renforcer la coordination transfrontalière contre les groupes djihadistes.
Limites et défis de la posture de l’AES
La sortie de l’AES de la CEDEAO a fragilisé l’intégration régionale, essentielle pour une lutte efficace contre le terrorisme, qui nécessite une coordination transfrontalière. La CEDEAO, malgré ses limites, a historiquement joué un rôle clé dans la gestion des crises sécuritaires, comme avec la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) en 2013. La rupture risque de limiter l’accès des pays de l’AES aux ressources et au soutien logistique des États côtiers, cruciaux pour leurs économies enclavées.
Malgré les efforts de l’AES, les niveaux de violence restent alarmants. L’année 2023 a été la plus meurtrière dans la région, et 2024 n’a pas montré d’amélioration significative. Des attaques majeures, comme le massacre de Barsalogho au Burkina Faso (août 2024) ou l’attaque de l’aéroport de Bamako (septembre 2024), soulignent les limites des capacités militaires des pays de l’AES, qui manquent des moyens et de l’expertise de partenaires comme le Tchad, autrefois moteur du G5 Sahel.
Les sanctions économiques imposées par la CEDEAO avant leur levée partielle en février 2024 ont aggravé les défis économiques des pays de l’AES, limitant leurs budgets pour la défense et le développement. La création d’une monnaie commune, bien que symbolique, risque de créer une enclave monétaire fragile, décourageant les investisseurs et compliquant le financement des opérations antiterroristes. De plus, la dépendance aux mercenaires russes pose des questions de durabilité et de souveraineté économique.
La posture anti-occidentale de l’AES, marquée par des accusations contre des pays comme l’Ukraine ou l’Algérie, a tendu les relations avec certains partenaires régionaux et internationaux. Cet isolement pourrait limiter l’accès à des financements internationaux et à des technologies nécessaires pour une lutte efficace contre le terrorisme. Par ailleurs, la restriction des espaces démocratiques dans les pays de l’AES, avec la dissolution des partis politiques au Mali par exemple, risque de compromettre le soutien populaire à long terme.
Perspectives pour une lutte antiterroriste efficace
Pour maximiser l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, une coexistence pacifique et pragmatique entre l’AES et la CEDEAO est indispensable. Les deux blocs ont des intérêts communs, notamment la libre circulation des biens et des personnes, qui facilite les opérations transfrontalières contre les groupes djihadistes. Le Sénégal, sous la présidence de Bassirou Diomaye Faye, pourrait jouer un rôle de médiateur pour rétablir le dialogue, en plaidant pour un soutien accru de la CEDEAO à la lutte antiterroriste tout en reconnaissant les efforts de l’AES.
L’AES pourrait également tirer parti de ses partenariats avec des pays comme le Tchad et le Togo pour renforcer ses capacités militaires, tout en diversifiant ses alliances internationales pour éviter une dépendance excessive à la Russie. Enfin, une réforme de la CEDEAO, orientée vers une meilleure coordination sécuritaire et des incitations plutôt que des sanctions, pourrait encourager les pays de l’AES à réintégrer le cadre régional sans renier leurs aspirations souverainistes.
La posture de l’AES, marquée par son retrait de la CEDEAO et son ambition de créer une confédération autonome, a des effets ambivalents sur la lutte contre le terrorisme. Si elle permet une coordination militaire renforcée et répond à des aspirations souverainistes, elle fragilise l’intégration régionale et expose les pays membres à des défis économiques et diplomatiques. Une coopération renouvelée entre l’AES et la CEDEAO, combinée à une diversification des partenariats et à une approche plus inclusive de la gouvernance, est essentielle pour améliorer l’efficacité de la lutte contre le terrorisme dans la région. Sans un tel compromis, la fragmentation de l’Afrique de l’Ouest risque d’aggraver l’insécurité, au détriment des populations sahéliennes et ouest-africaines.
M.D
 
 
															






 




