La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) a effectué, le vendredi 10 octobre 2025, sa rentrée judiciaire 2025-2026 centrée sur le thème crucial du « traitement judiciaire du terrorisme entre classicisme et innovation.» Lors de l’audience solennelle qui marque cette rentrée judiciaire devenue une tradition, le Procureur spécial, Elonm Mario Metonou a, lors de sa réquisition, dressé un état des lieux sombre de la menace grandissante, notamment dans le Sahel, devenu l’épicentre du terrorisme, partagé le bilan des activités de la Criet, et esquissé des perspectives d’innovation pour renforcer la riposte nationale et régionale.
« 7555 ! C’est le nombre total de décès liés au terrorisme en 2024 selon le dernier rapport de l’indice global sur la terreur. 51% de ces décès se sont produits au Sahel et le Burkina Faso a payé le plus lourd tribut sur la même période » a avancé Elonm Mario Metonou, le Procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) pour montrer l’ampleur du phénomène dans la sous-région. Des chiffres qui l’ont amené à rappeler l’historique et le contexte dans lequel le terrorisme s’est répandu presque dans tout le monde entier. Il n’est donc pas un phénomène nouveau lié à un continent donné. Il fait de nombreuses victimes et sème la terreur dans le monde. Après avoir fait la genèse, décrit le phénomène et ses manifestations au Bénin, le Procureur spécial a dressé le point des dossiers du terrorisme déférés devant sa juridiction ces cinq dernières années. « En 2019, la Criet a traité 29 procédures de terrorisme. Ce nombre est passé à 31 en 2020, 65 en 2021 avant de connaître un pic en 2022 et les procédures étaient au nombre de 285. En 2023, le nombre de procédures de terrorisme était revenu à 159 et 111 en 2024 avant de remonter en 2025 à la date du 30 septembre 2025 à 136. A la même date soit au 30 septembre 2025, 770 personnes dont 31 femmes étaient détenues dans nos prisons pour faits de terrorisme. Rapportés à l’état de la menace, ces chiffres montrent l’ampleur du phénomène et laissent entrevoir les défis que posent à la justice le traitement de cette infraction ».
Défis et perspectives de l’institution judiciaire
Signe d’un nouveau départ mais également marque d’une année qui s’achève, l’audience solennelle de rentrée judicaire se conjugue avec défis et perspectives. Trois défis majeurs émergent lorsqu’il s’agit de mener des investigations et de juger des infractions en lien avec le terrorisme. D’abord le défi de la constatation des infractions en cas d’attaques terroristes : La plupart des attaques se déroulent dans des zones inaccessibles ou infestées par des IED. Seule l’armée a accès aux scènes de crime. Or la vocation première de l’armée n’est pas d’accomplir des actes de police judiciaire, et les informations qu’elle collecte sont d’abord destinées à un usage militaire. Ensuite le défi de la coordination entre les services : Renseignement, armée, police, justice : Les deux premiers collectent et utilisent le renseignement pour leurs propres structures, tandis que les deux derniers auraient grand besoin d’accéder aux sources des deux premiers. La conséquence est que sur une même affaire les informations disponibles peuvent varier d’une structure à l’autre, ce qui est « du pain béni pour les criminels ». Enfin le défi de la coopération internationale : Le terrorisme au Bénin est une infraction transnationale, avec des katibas installées dans les pays voisins d’où les combattants viennent commettre des attaques. Or, il existe un manque de souplesse dans les accords en matière de droit de poursuite, un facteur limitant l’efficacité des services béninois face aux menaces transfrontalières. Les groupes terroristes exploitent cette limite. La rupture du partage de renseignements entre les États de l’Aes et ceux de la Cedeao est également un point de faiblesse dans la réponse régionale. « Ce tableau sombre ne doit pas nous décourager ; Le chemin est long, la nuit profonde mais il y a une lueur au bout du tunnel. Il y a un phare dans la nuit comme il y a un petit matin » a réconforté Elonm Mario Metonou. A en croire ses propos, au bout de ce petit matin, ce phare c’est l’intégration d’officiers de police judiciaire dans les unités de l’opération Mirador ; la confection de fiches de mise à disposition permettant aux militaires primo intervenants sur les scènes de crime de collecter les éléments de preuves de procéder à des interpellations et d’assurer la transmission aux Opj dans les formes prévues par le code de procédure pénale ; la judiciarisation du renseignement, la prise d’un décret portant création d’un cadre de riposte judiciaire au terrorisme incluant service de renseignement, de l’armée, de la police et de la justice. L’institutionnalisation de ce cadre est la clé pour une bonne coordination au plan national. Ce phare, a-t-il suggéré, c’est la restauration de la coopération régionale malgré les divergences politiques. « Le terrorisme est une négation du droit. Une négation du droit à la différence, Une négation du droit à la vie ; Promouvoir le droit est la seule façon d’y mettre fin ; Rendre justice aux victimes et aux auteurs en respectant le droit est la seule réponse efficace ; C’est en opposant le droit à la violence que notre société démocratique restera fidèle à ses fondements » a fait remarquer le Procureur spécial qui exhorte : «De cette conviction, faisons un viatique et une boussole pour les temps à venir »
Zéphirin TOASSEGNITCHE