En visite officielle d’amitié et de travail à Cotonou, le mardi 15 juillet 2025, les présidents sénégalais Bassirou Diomaye Faye et son homologue béninois, Patrice Talon, ont affiché leur volonté commune de dynamiser la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Deux institutions phares de l’intégration ouest-africaine, dans un contexte marqué par une crise de confiance envers ces organisations, exacerbée par le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao pour former l’Alliance des Etats du sahel (Aes). Les deux dirigeants souhaitent insuffler un « nouveau souffle » à ces institutions pour les rendre plus efficaces et plus représentatives des aspirations des peuples ouest-africains.
La Cedeao et l’Uemoa traversent une période de turbulences sans précédent. La Cedeao, créée en 1975 pour promouvoir l’intégration économique et politique, est confrontée à une fracture majeure avec le retrait des trois pays de l’Aes, qui dénoncent son alignement présumé sur des puissances étrangères, notamment la France, et son incapacité à répondre efficacement aux défis sécuritaires, comme le jihadisme. L’Uemoa, qui regroupe huit pays utilisant le Franc Cfa, est également critiquée pour sa dépendance monétaire vis-à-vis de l’euro et pour son manque de dynamisme face aux aspirations souverainistes des populations. Cette perte de confiance est amplifiée par des perceptions d’inefficacité institutionnelle et d’élitisme. Les populations ouest-africaines, en particulier la jeunesse, reprochent à ces organisations de privilégier les agendas des élites politiques et économiques au détriment des besoins concrets, tels que l’emploi, la sécurité alimentaire et la souveraineté économique. Dans ce contexte, l’initiative de Faye et Talon vise à repositionner ces institutions comme des outils au service des peuples, mais leur marge de manœuvre reste contrainte par des dynamiques internes et externes complexes.
Les atouts de Faye et Talon dans la réforme des institutions régionales
Bassirou Diomaye Faye, âgé de 44 ans et élu président du Sénégal en mars 2024, incarne une nouvelle génération de dirigeants africains. Son discours souverainiste, porté par le parti Pastef, résonne avec les aspirations d’une jeunesse en quête de rupture avec les modèles hérités de la période post-coloniale. Sa proximité idéologique avec les pays de l’Aes, notamment sur la question de la souveraineté monétaire et de la critique du Franc Cfa, lui confère une légitimité pour jouer un rôle de médiateur entre la Cedeao et les juntes sahéliennes. En juillet 2024, Faye a été désigné par la Cedeao comme médiateur pour ramener le Mali, le Burkina Faso et le Niger dans le giron de l’organisation, une mission prolongée jusqu’en juillet 2025. Son programme, axé sur la « réhabilitation des institutions » et la promotion d’un « panafricanisme de gauche », propose des réformes concrètes, telles que le renforcement de l’indépendance de la Cour de justice de la Cedeao et la révision du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Ces propositions pourraient répondre aux critiques des pays de l’Aes, qui reprochent à la Cedeao son manque de supranationalité et son influence par des puissances extérieures. De plus, Faye bénéficie d’un capital politique fort, ayant remporté l’élection présidentielle sénégalaise dès le premier tour avec 54,28 % des voix, ce qui lui donne une légitimité populaire pour porter des réformes audacieuses.
Patrice Talon, une vision pragmatique et économique
Patrice Talon, président du Bénin depuis 2016, apporte une perspective complémentaire. Connu pour son approche pragmatique et ses réformes économiques, Talon a contribué à faire du Bénin l’une des économies les plus dynamiques de l’Uemoa, avec une croissance de 8,4 % au premier trimestre 2025. Son engagement en faveur de l’intégration régionale s’appuie sur une vision économique libérale, qui pourrait séduire les partenaires internationaux tout en répondant aux besoins des acteurs économiques locaux. Talon a exprimé lors de la visite de Faye à Cotonou un désir de renforcer la coopération bilatérale entre le Bénin et le Sénégal, mais aussi de dynamiser l’Uemoa pour qu’elle réponde aux « défis de l’époque ». Sa position de chef d’Etat expérimenté, combinée à son influence au sein de l’Uemoa, lui permet de mobiliser d’autres dirigeants pour soutenir des réformes structurelles.
Une convergence stratégique
La rencontre entre Faye et Talon à Cotonou a permis de poser les bases d’une collaboration stratégique. Les deux présidents ont convenu d’entreprendre des démarches conjointes pour insuffler une nouvelle dynamique à l’Uemoa et réformer la Cedeao, avec le soutien des autres chefs d’Etat membres. Cette convergence entre un dirigeant souverainiste (Faye) et un pragmatique (Talon) pourrait créer une dynamique complémentaire : Faye peut mobiliser les aspirations populaires et dialoguer avec les pays de l’Aes, tandis que Talon peut apporter une expertise économique et des réseaux diplomatiques au sein des institutions régionales.
Les défis à relever pour une réforme efficace
Malgré ces atouts, Faye et Talon font face à des obstacles majeurs qui limitent leurs marges de manœuvre. Résistance des pays de l’Aes et divergences idéologiques. Le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao, officialisé le 29 janvier 2025, constitue un défi central. Ces pays, réunis au sein de l’Aes, ont adopté une posture souverainiste radicale, dénonçant l’influence de puissances étrangères sur la Cedeao et l’Uemoa. Bien que Faye ait noté une «fenêtre d’ouverture » dans leurs positions lors de ses visites à Bamako et Ouagadougou en mai 2024, les dirigeants de l’Aes restent fermes sur leur volonté de construire une confédération indépendante. Convaincre ces pays de réintégrer la Cedeao nécessitera des concessions significatives, notamment sur la question de la souveraineté monétaire et de l’autonomie décisionnelle. Par rapport aux contraintes institutionnelles et financières, la Cedeao et l’Uemoa souffrent de faiblesses structurelles, notamment un manque de supranationalité et des ressources financières limitées. Bien que le traité de l’Uemoa, signé en 1994, prévoie des mécanismes de supranationalité (comme une commission indépendante et une cour des comptes autonome), leur mise en œuvre reste partielle. De plus, la dépendance de l’Uemoa au Franc Cfa, arrimé à l’euro, limite sa capacité à répondre aux aspirations souverainistes. Faye a proposé une réforme monétaire, soit par l’adoption de l’éco (monnaie commune de la Cedeao) soit par une monnaie nationale sénégalaise, mais ces projets se heurtent à des obstacles techniques et à l’opposition de certains Etats membres. La Cedeao, de son côté, est critiquée pour son incapacité à faire respecter ses décisions, comme en témoigne le faible impact de ses sanctions contre les juntes sahéliennes. Aussi l’organisation est taxée de faire preuve de deux poids deux mesures en ce qui concerne certains de ses membres qui modifient les constitutions de leur pays pour se maintenir au pouvoir. Renforcer l’indépendance de la Cour de justice de la Cedeao, comme le propose Faye, nécessitera un consensus difficile à obtenir parmi les chefs d’Etat, dont certains craignent une perte de souveraineté nationale.
Défi de la représentativité populaire
L’un des objectifs majeurs de Faye et Talon est de rendre la Cedeao et l’Uemoa plus représentatives des aspirations des peuples. Cependant, les institutions régionales sont souvent perçues comme des clubs d’élites, éloignées des réalités quotidiennes. La création d’un parlement régional ou l’adoption d’un scrutin à la majorité qualifiée, comme envisagé dans les traités de la Cedeao et de l’Uemoa, pourrait renforcer la légitimité populaire. Toutefois, cela implique une volonté politique forte de la part des autres chefs d’Etat, dont certains privilégient le statu quo pour préserver leurs intérêts.
Pressions extérieures
Les relations avec des partenaires internationaux, notamment la France et l’Union européenne, compliquent la réforme. Le Franc Cfa, symbole de l’influence française, est un point de friction majeur. Toute tentative de réforme monétaire devra naviguer entre les attentes souverainistes des populations et les intérêts des partenaires économiques extérieurs, qui garantissent la stabilité du Franc Cfa. De plus, la Cedeao doit gérer les tensions géopolitiques liées à l’influence croissante de puissances comme la Russie et la Chine dans la région, notamment au sein de l’Aes.
Les marges de manœuvre, une approche pragmatique et inclusive
Pour surmonter ces défis, Faye et Talon disposent de plusieurs leviers à savoir : Le dialogue avec l’Aes. A ce niveau, Faye en tant que médiateur, peut capitaliser sur sa posture souverainiste pour proposer un cadre de dialogue inclusif avec l’Aes. Une réforme de la Cedeao qui intègre les préoccupations des pays sahéliens, comme la lutte contre le jihadisme et une plus grande autonomie décisionnelle, pourrait ouvrir la voie à une réintégration partielle ou à une coopération renforcée. Réformes institutionnelles ciblées : Les deux présidents peuvent pousser pour des réformes concrètes, comme le renforcement du Parlement régional et de la Cour de justice de la Cedeao, ou la création d’une assiette fiscale propre pour l’Uemoa, afin de réduire la dépendance aux financements extérieurs. Ces mesures nécessiteront un travail de persuasion auprès des autres chefs d’État, mais elles pourraient répondre aux critiques sur l’inefficacité institutionnelle. Mobilisation de la société civile et de la jeunesse : Pour répondre à l’exigence de représentativité, Faye et Talon pourraient impliquer davantage les organisations de la société civile et les mouvements de jeunesse dans les processus de décision. Des consultations populaires ou des forums citoyens pourraient renforcer la légitimité des institutions régionales. Coopération économique renforcée : Le Bénin et le Sénégal, avec des croissances économiques respectives de 8,4 % et 6,6 % en 2025, peuvent servir de locomotives pour dynamiser les échanges intra-régionaux, encore faibles (21,93 millions $ en 2023 entre les deux pays). Une Uemoa plus intégrée économiquement pourrait séduire les pays de l’AES et les inciter à reconsidérer leur position.
Une ambition réaliste mais semée d’embûches
Bassirou Diomaye Faye et Patrice Talon disposent d’atouts indéniables pour impulser une réforme de la Cedeao et de l’Uemoa : la légitimité populaire et le discours souverainiste de Faye, combinés à l’expérience et au pragmatisme économique de Talon, forment un tandem prometteur. Leur volonté de redynamiser ces institutions pour les rendre plus efficaces et représentatives répond à un besoin urgent de reconnecter les organisations régionales avec les aspirations des peuples ouest-africains. Cependant, les défis sont de taille : la résistance des pays de l’AES, les contraintes institutionnelles et financières, ainsi que les pressions extérieures limitent leurs marges de manœuvre. Pour réussir, Faye et Talon devront adopter une approche pragmatique, mêlant dialogue inclusif, réformes institutionnelles ciblées et mobilisation des populations. Si leur initiative parvient à réconcilier les aspirations souverainistes avec les impératifs d’intégration régionale, elle pourrait marquer un tournant décisif pour l’avenir de la Cedeao et de l’Uemoa, et redonner espoir à une région en quête d’unité et de prospérité.
La rédaction











